Petits cœurs, grands secrets : quand les enfants protègent
leurs parents

Les enfants portent parfois en silence des fardeaux bien trop lourds pour leurs petites épaules. Ils se renferment, décrochent à l’école, semblent changer sans que les adultes comprennent pourquoi. Derrière ce mutisme, il y a parfois un secret douloureux. Comprendre comment un enfant fonctionne face à la tristesse peut aider les parents à ouvrir un chemin de paroles et de réconfort.

Quand un enfant se tait : comprendre son langage intérieur

Un enfant n’exprime pas sa peine comme un adulte. Les plus jeunes n’ont pas toujours les mots pour dire leur chagrin. Ils peuvent manifester leur souffrance à travers des comportements : isolement, troubles du sommeil, perte de concentration à l’école, colères ou au contraire un silence inhabituel.
Le deuil, en particulier, est difficile à saisir : avant 7-8 ans, beaucoup d’enfants perçoivent la mort comme quelque chose de réversible. Ce paradoxe : comprendre qu’une personne est partie, mais espérer qu’elle revienne, peut les plonger dans une grande confusion. Ils cherchent alors, inconsciemment, à protéger leurs parents en gardant pour eux leurs émotions.

L’histoire d’Anna 

Anna a 6 ans quand elle arrive dans mon cabinet, elle est renfermée, lointaine. À l’école, elle décroche, sa maîtresse s’inquiète. Sa maman aussi : elle pense que son mal-être vient de la naissance du bébé chez son papa, le couple est séparé depuis peu. Pour elle, ce nouvel enfant arrivé "trop tôt" a pris trop de place dans la vie d’Anna.
Mais quand Anna se confie à moi en tête-à-tête, ses mots bouleversent : « Ce n’est pas ça… c’est parce que mémé et pépé sont partis à l’hôpital avec la COVID. Ils sont morts et je n’ai pas pu leur dire au revoir. Je ne veux pas le dire à maman, ça lui ferait trop de peine. »
Ce silence, ce secret, pesait chaque jour davantage sur son petit cœur.

Un événement qui pourrait nous paraître anodin a réveillé sa tristesse : à l’école, la maîtresse a demandé aux enfants de dessiner leur arbre généalogique. Pour Anna, ce fut comme rouvrir une plaie : comment dessiner ses grands-parents quand ils ne sont plus là ?

Monter à l'échelle pour dire au revoir à mémé et pépé

Lorsque sa maman découvre enfin la véritable origine du silence d’Anna, elle s’effondre : jamais elle n’aurait imaginé une telle douleur cachée. Je leur propose alors de créer ensemble un dessin d’adieu.

Anna dessine une grande échelle. Elle se positionne tout en haut des barreaux, un bouquet de fleurs à la main tendu vers sa grand-mère assise sur un nuage, à côté de son grand-père. C’est le geste symbolique de son dernier « au revoir ». Sa maman, à son tour, ajoute des fleurs, un soleil, des couleurs, comme pour entourer sa fille de douceur et de chaleur.

Déposer ce dessin sur la tombe de ses grands-parents devient un rituel réparateur. Anna se libère enfin d’un poids trop lourd pour son âge, et sa maman, en accueillant ses mots et ses larmes, partage désormais ce fardeau avec elle.

Accueillir les émotions avant de les gérer

Je suis sophrologue, et j’accompagne les enfants dans ce voyage délicat au cœur de leurs émotions. Avant de pouvoir être « gérées », les émotions doivent d’abord être comprises. Même si nos émotions sont universelles : la peur, la tristesse, la colère, la joie, nous ne les vivons jamais de la même façon, car chacune se colore de notre parcours, de nos histoires, de nos expériences.

Pour un enfant qui découvre ce monde intérieur riche et parfois déroutant, la vague émotionnelle peut sembler trop grande, trop soudaine. Mon approche consiste à entrer dans son univers, à ses côtés, avec bienveillance : accueillir ses émotions sans jugement, sans a priori, sans analyse. Simplement les laisser exister, pour ensuite les comprendre. Et c’est seulement après cette étape qu’il devient possible de les apprivoiser et de les transformer en une force de croissance.

 

"Les émotions sont des messagères : lorsqu’on leur ouvre la porte,
elles cessent de frapper trop fort."

Delphine LIBES - Sophrologue praticien